LE CELLIER AUX MIRABELLES
LES DÉFIS DE AN'MAÏ
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LISTE # 105
Remporter - Ultime - Indice - Basculer - Logique - Génération - Menace - Problématique - Parole - Ambiance
LE CELLIER AUX MIRABELLES
Parmi les souvenirs les plus marquants de mon enfance, demeure cette anecdote, à la fois tendre et douloureuse qui illustre toute une génération élevée dans une logique de silence, d'obéissance et de résignation.
À chaque absence de nos parents, la problématique restait la même : mes sœurs et moi étions enfermées dans le cellier, livrées à nous-mêmes, prisonnières involontaires d'un rituel devenu banal. Dans ce réduit sans lumière, l'ambiance oscillait entre murmures complices, chuchotements de défi et longues heures de vide.
Un jour, l'attente fut si longue voire interminable que la faim se fit menace, rongeant notre patience et nos entrailles. Et c'est là que, dans un geste de bravoure ou de désespoir, l'une de mes sœurs, je n'ai jamais su laquelle, osa basculer dans l'interdit. Elle parvint à remporter une petite victoire : L'ouverture d'un pot de confiture de Mirabelles ... avec la force de ses dents. Le couvercle cabossé porta l'indice d'un acte secret : Une empreinte dentaire gravée dans le métal, signature involontaire d'un moment de faiblesse et de courage mêlés.
Ne pouvant dissimuler le pot vide, elle l'abandonna là, témoin silencieux de sa transgression. À leur retour, les parents découvrirent l'objet du délit. Tel un détective improvisé, notre père mena l'enquête avec rigueur, scrutant nos mâchoires à la recherche de la parole muette laissée sur le couvercle.
Mais n'ayant pu identifier la coupable, il choisit de nous punir toutes. L'ultime sentence tomba, implacable : Une journée entière sans nourriture, suivie de coup porté au nerf de bœuf, un châtiment infligé à des enfants trop affamés pour résister à une impulsion primitive, une urgence vitale, une pulsion archaïque inscrite au plus profond du corps, une douleur.
Ainsi s'achèva ce jour-là l'escapade sucrée : Non dans la révélation triomphante de la vérité mais dans la morsure sourde d'une injustice partagée puisque faute de coupable désignée, notre père, optant pour une punition collective, nous infligea à chacune le même traitement, les coups et la faim, comme si la bêtise avait été nôtre à toutes. Ironie cruelle : La véritable coupable fut châtiée, certes, mais noyée dans la masse de ses sœurs innocentes, sans possibilité de réparer, de s'expliquer, ni même de parler. Et c'est peut-être cela le plus amer : Que la vérité fut étouffée par le silence, et la justice par la peur.
Lorsque l'ultime indice échappe à la logique, il faut parfois basculer dans la mémoire d'une génération entière où la parole tue devient problématique, la menace sourde et l'ambiance si dense que l'on ne peut remporter que le droit d'exister en silence.
MARIE SYLVIE
https://mariesylvie.blogspot.com
Cette anecdote que tu viens de nous conter est terrible... Tes parents étaient très durs ! 😪
RépondreSupprimerBises - Zaza
Chère Zaza,
SupprimerMerci pour tes mots ... Oui c'est une anecdote terrible, et pourtant elle n'est qu'un fragment parmi tant d'autres que j'ai longtemps gardés sous silence.
Ce blog, je l'ai ouvert comme on entrouve une fenêtre dans une pièce longtemps, trop longtemps restée close, pour laisser entrer un peu d'air, un peu de lumière, et surtout pour laisser sortir ce qui pesait.
Face à un avenir incertain, j'éprouve le besoin de laisser une trace, une empreinte de mon passage. Non pas pour accuser mais pour témoigner.
Derrière mes sourires d'aujourd'hui, il y a une source de larmes tarie, une douleur ancienne que j'ai appris à apprivoiser mais jamais à oublier.
On m'a laissé grandir parmi des adultes qui n'avaient ni sens moral, ni respect pour la vulnérabilité de l'enfant que j'étais. Écrire, c'est pour moi une manière de redonner une voix à cette petite fille, de lui offrir enfin l'écoute et la tendresse qu'elle n'a pas reçues.
Merci de lire, de ressentir, de comprendre.
Cela compte plus que tu ne peux l'imaginer.
Bien amicalement, Marie Sylvie
Eh bien, en voilà des parents "exemplaires" !!!!! Et un enfant n'osait se rebeller.... ou dénoncer, J'ai connu la punition collective, mais en classe primaire, le cent fois copiez ceci ou cela.... rien à voir, amitiés, jill
RépondreSupprimerChère Jill,
SupprimerMerci pour ton message ... oui des parents "exemplaires " comme tu le dis avec cette ironie qui fait mouche. À cette époque, se rebeller ou dénoncer n'était même pas une option envisageable. La peur, la loyauté mêlée de confusion, et ce sentiment que " c'est normal " lorsque l'on a connu que ça ... tout cela nous réduisait au silence.
Je comprends ce que tu dis sur la punition collective à l'école , c'est déjà injuste mais dans un cadre familial, intime, où l'on devrait être protégé, aimé, consolé ....cela prend une toute autre dimension. Ce n'est plus une sanction éducative, c'est une blessure qui s'exprime dans la mémoire.
Aujourd'hui, je choisis d'écrire pour ne plus me taire. Pour que ces histoires trop longtemps étouffées, trouvent enfin un espace où elles peuvent exister sans honte.
Merci de ta lecture et de ton amitié, ça me touche profondément.
Bien amicalement, Marie Sylvie
Après avoir lu un tel récit, je reste sans voix !
RépondreSupprimerQu'en est il de tout celles et ceux qui se taisent ?
L'écriture est une thérapie je le dirais toujours !
Il est des souvenirs cuisants qui restent longtemps accrochés à nos mémoires. Celui-ci, parmi d'autres je crois, est terrible. On entend souvent dire par les gens de notre génération : "oui mais en ce temps-là c'était comme ça". Sous-entendu les punitions corporelles étaient monnaie courante et on n'en faisait pas un drame. Je trouve cette réaction encore plus terrible. C'est comme s'il fallait encore se soumettre à l'inéluctable. Non, ce n'était pas normal, et il est nécessaire aujourd'hui d'avoir le courage de le dire haut et fort. Sinon, encore de nos jours d'autres se croiront autorisés à faire souffrir des enfants sous prétexte de "correction" et "d'exemple". On voit bien avec l'affaire "Betharram" jusqu'où les choses peuvent parfois aller quand on les laisse perdurer trop longtemps. En ce domaine extrêmement sensible, je crois nécessaire de pratiquer la "tolérance zéro".
RépondreSupprimerAlors, merci Marie, d'avoir trouvé le courage de dénoncer ce qui doit l'être, non pas, en effet, par esprit de vengeance, mais pour soigner en toi l'enfant blessé, tout d'abord, et aussi pour que ce genre de punitions inadmissibles prennent définitivement fin.
Bon week-end à toi.
Amitiés,
Martine
le poète revient toujours de l'enfer
RépondreSupprimerFA
Oui c''est terrible... J'ai lu les commentaires et aussi tes réponses...
RépondreSupprimerÉcrire, c'est pour toi une manière de redonner une voix à cette petite fille que tu étais et qui a tellement souffert de la dureté de ses parents et de ce manque de tendresse...
Tu as raison de ne plus te taire...
Et tu exprimes si bien tes maux, tes souffrances...
J'en suis émue...
Bien à toi Marie Sylvie
C'est terrible ce que tu as vécu ! Ce que vous avez vécu tes sœurs et toi ! Que l'on puisse infliger de tels traitements à des enfants, m'indigne toujours autant ! C'est de la cruauté, ni plus, ni moins ! Quand ça vient des parents, c'est encore pire ! Les parents, nos procréateurs, sont là pour nous aimer et nous protéger, pas pour nous maltraiter, nous punir injustement, nous faire subir des privations. J'ai le cœur serré à te lire et une grosse envie de pleurer. Placée par la DDASS à l'âge de 12 ans avec deux de mes sœurs chez la même "nourrice", je n'ai jamais subi les moindre sévices de sa part. Des punitions certes, mais toujours justifiées parce que j'étais "dure", mais aucune violence. Et le nerf de bœuf accroché derrière une porte et dont elle me menaçait parfois, n'a effleuré qu'une fois mes cuisses rebelles ! Pas de quoi laisser la plus petite marque ! Quant à nous priver de manger mes pettes sœurs et moi, ça ne lui serait jamais venu à l'esprit ! Ta résilience est admirable ! Je trouve absolument nécessaire de libérer sa parole, même des années plus tard. parler, c'est aussi se libérer du poison des souvenirs douloureux. Je suis de tout cœur avec toi ! Bisous
RépondreSupprimerOh ! La ! La !, Marie Sylvie, pas facile à vivre, ce que tu as vécu, hélas !!! Quelle tristesse !!! J'en suis mal à l'aise, moi qui a été si choyée !!! C'est touchant de te lire ! Avec toi de tout cœur ! Gros bisous
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